Braquage silence est une nouvelle qui tend à l'absurde, et pas vraiment. Histoire d'un homme qui entre dans une banque. Son attitude n'est pas sans éveiller l'attention.
Elle a été publiée dans le numéro 44 de la revue Harfang.
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Il serait plus à sa place comme mannequin dans la vitrine d’un magasin branché. L’éclairage l’insulte, pas assez subtile par endroits, pas assez clinquant par ailleurs : mais il est au-dessus de tout cela. Il pourrait chanter un vrai morceau de glam rock tombé du ciel avec une voix de crooner électrocuté.
Peut-être que derrière la caméra de vidéosurveillance un gardien l'a repéré, avec son manège bizarre, qui n'est pas un manège... Peut-être qu'il a l'impression d'assister au début d'un clip de musique pop. Dans le hall de la banque pourtant, personne ne réagit. Juste un guichetier qui jette un œil, sourcille... Pffff... si on commence à s’inquiéter des rêveurs…
Une heure a passé. La fréquentation ne faiblit pas dans l'établissement, et même augmente, c'est l'heure de pointe à cause du marché sur la place. On contourne l'homme, de plus en plus enserré. Le guichetier lui a de nouveau jeté un œil, qu’il a ensuite échangé avec un collègue. Puis un autre. Succession de regards en flipper, soudain, les néons au-dessus clignotent à cause de sauts de tension. Les yeux happés et rejetés sur ce pylône électrique rouge au milieu.
Il n'y a pas à dire: il gêne. Tout d'un coup le constat est devenu évident. Il gêne. Il n'a pas à être là, il gêne objectivement le passage. Il demeure rigide, absolument sans la moindre variable. Quelques instants plus tôt il faisait presque partie des meubles, même si le rouge choquait. Mais maintenant il jure.
Voilà un troisième guichetier, plus entreprenant Il s’approche de l'homme et se plante face à lui pour demander fermement ce qu’il veut, préciser que les formulaires sont là, là et là. Pas de réponse, pas un mot, l'homme se fout manifestement des formulaires normalement adaptés à toute situation grâce à un ingénieux système de cases à cocher. L'homme accroche ses yeux au faux plafond comme si le ciel ou un secret s’y cachait.
Le guichetier repart, quart-rigolard, trois-quart- inquiet. L’heure du déjeuner dans cinquante minutes.
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