Au cœur d'un hiver non daté, un homme et une femme se croisent sur un chemin. Un souffle, une décision, le temps d'un feu de bois.
Passion d'hiver est parue dans le numéro d'octobre 2015 (n°146) de la revue Moebius au Québec.
Le ciel se dégage enfin, et le soleil aveuglant perce au cœur des montagnes un vaste plateau enneigé. En son centre, l’oratoire de Saint-Isidore n’est repérable qu’à sa croix de métal rouillée et distordue, posée sur une petite crête d’ardoises affleurant les tourments de neige trafolée. La statue du saint est confinée sous la neige, debout derrière
un grillage alvéolaire, entourée de fleurs desséchées.
Seules des empreintes profondes laissées dans la neige par un colporteur quelques jours plus tôt trahissent le sentier vers le village. Deux individus y progressent péniblement, l’un venant du sud, l’autre de l’est. Ils se sont aperçus de loin, peut-être heureux, peut-être inquiets de l’augure de la rencontre. Aussi, quand ils se croisent devant l’oratoire, tout un bout de vie fantasmatique s’est déjà écoulé dans leur esprit esseulé.
Elle est jeune, droite, engoncée d’hiver. Lui dans l’élan de l’été ne porte qu’une épaisse chemise de bûcheron rouge et une peau de mouton. Les veines sur les tempes gonflées par l’effort.
Ils prennent le temps d’apaiser leur souffle et, pendant ce temps, leurs regards se contorsionnent et se fixent comme les nœuds du bois. Un cri de chocard les met en mouvement. Sans un mot, ils s’engagent hors des empreintes en direction d’un chalet proche aux volets clos.